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Je l'ai vu sortir du tombeau

C'est avec un immense plaisir que nous vous invitons à découvrir

La véritable histoire de Pâques,

imaginée d’après le récit des quatre Évangiles

écrite par notre frère de Suisse, Monsieur René Déran.


À la frontière nord de l’Empire, une patrouille romaine vient de tomber dans une embuscade tendue par quelques barbares. Flavius, un des légionnaires est à terre, blessé par une flèche plantée dans son côté droit. Elle l’a atteint juste au défaut de sa cuirasse. Un de ses camarades est resté près de lui tandis que les autres se sont lancés à la poursuite des agresseurs.


Le blessé s’adresse à son camarade :


– Approche Urbain, je crois que j’ai mon compte. Mais avant de mourir, il faut que je te raconte un secret que je n’ai jamais osé confier à personne.


– Ne te fatigue pas Flavius. Dès que les autres seront de retour, on te transportera au camp et on te soignera. Tu vas t’en sortir.


– Non, laisse-moi te dire ce que j’ai vu un jour et ne m’interromps pas, s’il te plaît. Je ne sais pas si j’aurai la force d’aller au bout de mon histoire.


Urbain s’approche avec compassion du visage de son camarade, qui poursuit :


– C’était il y a quelques mois. J’étais en garnison à Jérusalem, sous les ordres de Ponce Pilate. Les Juifs du peuple avaient de la peine à accepter notre présence, mais nous avions d’assez bonnes relations avec leurs chefs religieux, le sanhédrin, si je me souviens bien.


Un jour, le lundi avant leur grande fête, Pâque, nous avons été mis en état d’alerte. Un homme, qu’ils appelaient Jésus, entrait dans la ville, accompagné d’une dizaine de complices. Le peuple l’acclamait comme leur roi et il y avait menace d’émeute. Pour faire face à toute tentative de rébellion, nous avons été envoyés sur place avec pour mission de n’intervenir qu’en cas d’agression.


J’ai vu l’homme de loin, il était monté sur un âne. Il paraissait très pacifique. Sur son passage, les gens jetaient des palmes et leurs vêtements sur le chemin devant lui. Nous l’avons suivi de loin, afin d’éviter toute provocation, jusqu’à ce qu’il pénètre dans l’enceinte de leur Temple. Là, il a, paraît-il, fait un scandale en s’en prenant aux marchands qui y faisaient commerce. Mais cela ne nous concernait pas.


Le blessé fait une grimace de douleur et continue :


– Tout ça n’a rien à voir avec mon secret, mais il faut que tu le saches pour mieux comprendre la suite. Ce Jésus a ensuite quitté la ville et nous pensions ne plus en entendre parler, mais, quelques jours après, les chefs religieux juifs nous ont amené l’homme. Il était revenu en ville et avait, paraît-il, l’intention de provoquer un soulèvement populaire et de prendre le pouvoir.


Il avait été dénoncé par un de ses amis et ils s’étaient emparés de lui pour nous le livrer. L’arrestation avait été mouvementée, à ce qu’ils nous ont dit en arrivant à la caserne. Un des compagnons de ce Jésus avait voulu résister et il avait même tranché l’oreille d’un serviteur de leur sacrificateur d’un coup d’épée, mais le prisonnier lui avait demandé de ranger son arme et avait prié le centurion de laisser partir ses amis du moment que c’est lui qu’ils cherchaient. Il a été d’accord et ce Jésus a recollé l’oreille du blessé, qu’ils ont dit. On a bien rigolé, tu parles ! D’autant que le gars nous a montré son oreille et qu’il n’y avait même pas de cicatrice.


On a alors escorté l’homme jusque devant le sanhédrin, puis auprès de Pilate, après, chez le roi Hérode, dont tu as sûrement entendu parler et à nouveau devant Pilate, que les Juifs ont convaincu de le condamner à mort. Selon eux, il avait fomenté une émeute, blasphémé leur Dieu aussi, et méritait pour cela le châtiment suprême. Seulement c’était à Pilate de l’exécuter, car eux n’en avaient pas le droit. Mais Pilate n’était pas convaincu de sa culpabilité, alors, le vendredi matin, veille de leur grande fête, selon la tradition il a proposé à la foule de libérer un condamné. Il leur a donné le choix entre un agitateur et meurtrier notoire et ce Jésus. La foule a choisi le meurtrier et ceux-là mêmes qui avaient acclamé Jésus quatre jours avant ont crié à son nom : « Crucifie, crucifie-le ». Nous étions tous outrés par l’attitude de ces gens, mais Pilate a dû s’exécuter.


Tu sais qu’un soldat n’a pas à se poser de question, alors on a emmené le prisonnier au camp. Là, j’ai trouvé que mes camarades auraient pu éviter de se moquer de lui comme ils l’ont fait en le déguisant en roi de pacotille et en lui posant une couronne d’épines sur la tête. Il n’était pas nécessaire non plus de l’humilier, de le frapper, de le fouetter et de l’insulter, il paraissait si doux, si pacifique. Mais l’homme est ainsi fait qu’il prend plaisir à tourmenter les faibles.


Urbain intervient :


– Ne parle plus Flavius, reste calme. On va bientôt pouvoir te soigner, les autres ne vont plus tarder maintenant. Tu me raconteras la suite quand tu seras guéri.


Flavius saisit la main de son camarade et répond d’une voix qui faiblit un peu :


– Non, il est trop tard, je n’en ai plus pour très longtemps et il faut que tu écoutes ce qui est arrivé ensuite, sinon personne ne le saura jamais.


Donc, on a conduit ce Jésus au lieu du supplice, avec deux criminels qui devaient subir le même sort. Mais à lui, on lui a fait porter sa croix lui-même. Le long de la route, les gens lui crachaient au visage, d’autres l’injuriaient, des femmes pleuraient aussi. Lui était couvert de sang, il est tombé quelques fois, mais il ne disait rien. À un moment donné, voyant qu’il était épuisé, on a contraint un paysan qui passait par là à le soulager du poids de la croix pour le dernier bout du chemin. Je ne suis pas une mauviette, mais j’étais tout remué, j’avais pitié de ce Jésus, je l’admirais aussi.


Flavius interrompt un instant son récit et ferme les yeux, il se remémore la scène et une larme roule sur sa joue. Urbain pense que c’est la fin, mais le blessé reprend :


– Arrivés sur la colline, on a disposé les croix par terre et on y a cloué les condamnés. Les deux brigands se débattaient, nous invectivaient, hurlaient comme des porcs. Lui, on l’a placé au milieu. Il ne disait rien. Si j’ai bien compris, il a seulement demandé à son père de nous pardonner, ou quelque chose comme ça, tu te rends compte. Je ne savais pas pourquoi il s’adressait à son père, qui n’était même pas là, mais j’ai compris plus tard. Enfin, on aurait dit… je ne sais pas… un agneau, un agneau que l’on mène à l’abattoir. Je te le répète Urbain, je ne suis pas un tendre et j’en ai vu des horreurs, mais là, j’avais comme une envie de pleurer, oui, de pleurer. Sur chaque croix, on a fixé un écriteau où était inscrit le motif de la condamnation. Comme Pilate ne savait pas quoi mettre sur celle de Jésus, il avait écrit « Jésus de Nazareth, roi des Juifs », ça je m’en souviens. C’était sans doute pour se moquer des Juifs et je sais qu’ils n’ont pas apprécié.


On a dressé les croix et on a attendu. On s’est partagé les affaires des condamnés, comme d’habitude, mais la tunique de ce Jésus était d’une seule pièce, alors comme on ne voulait pas la déchirer, on l’a tirée au sort et c’est Marcus qui l’a gagnée.


Les deux bandits se moquaient de Jésus, certains spectateurs l’ont défié en lui demandant de descendre de sa croix, à ce qu’il m’a semblé. Je connais peu leur langue, j’étais seulement depuis quelques mois dans le pays, mais j’ai cru comprendre qu’un des brigands a changé d’attitude à son égard, il ne se moquait plus et lui a parlé de son règne sur la terre. J’ai trouvé bizarre de dire ça à un homme qui allait mourir. Jésus lui a répondu en parlant du Paradis, ou du ciel, je n’ai pas bien entendu. Il a aussi dit quelques mots à sa mère, la pauvre, qui était près de la croix, et encore d’autres paroles, mais je n’ai pas tout saisi. Ça a duré un long moment et tout à coup il a fait nuit, alors qu’on était au milieu de la journée, environ la sixième heure. Là, j’ai eu peur, je l’avoue. Plus un souffle d’air, plus un chant d’oiseau, le silence complet. Seulement cet homme qui a demandé à boire et qui, après plusieurs heures, a dit qu’il remettait son esprit, ou sa vie, je ne me souviens plus exactement, entre les mains de son père. Puis il a poussé un grand cri et plus rien.


C’est à ce moment-là que la terre a tremblé. Je ne sais pas pourquoi, j’ai cru que c’était la fin du monde. La plupart de ceux qui regardaient encore les suppliciés se sont enfuis, pris de panique. J’avais envie d’en faire autant, mais brusquement le soleil est revenu, Jésus avait la tête penchée, il ne bougeait plus, les deux autres étaient terrifiés.


On avait ordre de ne pas laisser les condamnés exposés le jour de Pâque. Il fallait donc qu’ils soient morts avant la nuit. Tu sais ce qu’on fait pour accélérer la fin, on leur brise les os des jambes ce qui fait qu’ils ne sont plus que pendus par les mains et ils étouffent rapidement. C’est ce qu’on a fait aux deux brigands. Je devais faire subir le même sort à Jésus, mais ça a été inutile, j’ai vu qu’il était mort. J’étais très impressionné et alors je ne peux pas décrire ce que j’ai ressenti, j’ai dit « cet homme était vraiment le Fils de Dieu ». J’en étais soudain persuadé et je le suis toujours. Quand il s’adressait à son père, il parlait à son Dieu, au Dieu des Juifs. Un Dieu unique, le vrai Dieu, pas un dieu comme les nôtres. Un Dieu qui a fait des miracles extraordinaires, à ce que racontent les Juifs et je ne comprenais pas pourquoi Il avait laissé mourir ainsi Son Fils.


Par acquit de conscience, un des gardes a percé le côté du corps de Jésus avec sa lance et il est sorti du sang et de l’eau de la blessure. Je n’avais jamais vu une chose pareille.


Après, on a dépendu les corps afin de les jeter dans la fosse commune, mais un homme est venu réclamer celui de Jésus pour le mettre dans un tombeau qu’il avait fait creuser pour lui-même. Pilate avait donné son accord, alors on a laissé faire.

Les forces abandonnent Flavius et une nouvelle fois son camarade le supplie de se ménager, de ne plus parler. Mais pour toute réponse le blessé demande à Urbain de s’approcher davantage, sa voix faiblit encore.


– Écoute bien, c’est maintenant le plus important. Ce que je t’ai raconté jusqu’ici, d’autres le savent, car ils l’ont vu, mais ce que je dois te dire encore, je suis seul à le connaître.


Le travail achevé, nous sommes rentrés au camp, bien décidés à ne plus penser à cette dure journée. En route, on entendait les gens qui parlaient de la soudaine obscurité et du tremblement de terre, ils avaient l’air inquiets, car ils ne comprenaient rien à ce qui s’était passé. Nous, on ne voulait que boire, nous saouler et dormir pour oublier. Pour moi, ça ne s’est pas passé comme ça.


À peine arrivé au camp, j’ai été désigné, avec onze autres légionnaires, pour former une garde. Nous devions nous mettre aux ordres du sanhédrin pour une mission particulière de deux ou trois jours, sur décision de Ponce Pilate. Je n’étais pas très heureux, je peux te le dire. Les dignitaires juifs nous ont informés que des bruits couraient selon lesquels les disciples de Jésus projetaient d’enlever le corps de leur maître pour faire croire qu’il était ressuscité. Nous devions veiller à les en empêcher.


Nous avions l’habitude de garder des prisonniers, mais c’était la première fois qu’on nous demandait de garder un mort ! Bon, mais les ordres sont les ordres. Les Juifs nous ont menés sur les lieux, dans un grand jardin, et nous avons pris position. Le tombeau était fermé par une grosse pierre et nous nous sommes organisés en trois groupes de quatre. La relève se faisait toutes les quatre heures. Selon les consignes, quatre hommes veillaient debout, dos à dos, tandis que les autres se reposaient tout autour, sur le sol. Nous pouvions ainsi surveiller tous les côtés en même temps. Tout s’est bien passé la première nuit et le jour suivant, donc le samedi.


Ce jour-là, j’ai pris mon tour de garde à la huitième heure de la nuit. Je faisais face au tombeau, c’est important. Nous avions allumé les torches et le sablier nous indiquait notre temps de garde. C’est juste avant le lever du jour que l’événement s’est produit. Crois-moi, c’est la vérité, je ne dormais pas, j’ai vraiment vu ce que je vais te dire. Une créature, qui avait l’apparence d’un homme, mais n’en était pas un, était là, devant moi, en vêtement blanc, un blanc comme lumineux. J’ai voulu crier, alerter les autres, mais j’étais tétanisé. Je ne pouvais émettre aucun son ni faire aucun mouvement. Comme si j’étais devenu une statue. Nous étions d’ailleurs tous les douze dans le même cas. J’ai vu la créature rouler la pierre qui fermait le tombeau et la poser un peu plus loin. Une pierre qui devait peser le poids d’un cheval, ou davantage. Oui, la créature la portait comme j’aurais porté mon bouclier. Puis elle s’est assise dessus.


Et alors… tu ne vas pas me croire, mais il le faut pourtant. Il faut que le monde le sache, que tu le dises à tous… alors je l’ai vu sortir du tombeau. L’homme qui était mort sur la croix deux jours auparavant. Jésus. Aux premières lueurs de l’aube, j’ai vu le trou dans son côté, même les marques des clous sur ses mains et ses pieds. Il était là, juste devant moi, il marchait. Terrifié, j’étais terrifié et en même temps comme soulagé. C’est difficile à expliquer. Dans ma tête, je lui ai demandé pardon pour tout ce qu’on lui avait fait. Je suis sûr qu’il m’a regardé. Il y avait… comment te dire… de l’amour, oui, c’est ça, de l’amour dans ses yeux, comme s’il voulait me faire comprendre qu’il me pardonnait. Je ne peux pas exprimer la joie que j’ai ressentie à ce moment. Puis il a disparu et la créature aussi. Au même instant la terre a tremblé et j’ai repris mes esprits. Nous nous sommes retrouvés tous les douze debout, effrayés, stupéfaits à regarder le tombeau ouvert et la pierre posée un peu plus loin.


À nouveau Flavius ferme les yeux, gémit. Urbain ne lui demande plus de se taire. Il dit seulement : « et alors ? », avant d’approcher son oreille de la bouche du blessé dont la voix n’est plus qu’un murmure et dont le débit devient saccadé.


– On ne croyait pas ce que l’on voyait… c’était impossible… j’ai voulu raconter aux autres, mais c’était tellement… invraisemblable. Un des gardes a regardé à l’intérieur du tombeau, il était vide. Il n’y avait personne dans le jardin, seulement… deux femmes qui venaient dans… notre direction. On a couru prévenir le chef des Juifs… s’est affolé et a fait venir les autres du sanhédrin. Nous ont donné de l’argent pour que… nous disions partout que nous avions… dormi et que les compagnons de Jésus avaient… enlevé le corps. On risquait la mort pour… cette faute… mais ils nous ont promis leur protection… parleraient à Pilate. On a fait comme ils voulaient, on a menti… malgré la honte de dire… qu’une garde romaine s’était endormie… Pilate ne nous a… pas punis. Il a dit « vous n’étiez pas en mission pour moi, ce… n’est pas à moi de vous punir ».


J’aurais voulu… savoir plus sur cet homme que j’avais vu sortir… du tombeau, rencontrer ceux qui le suivaient. Mais Pilate nous a… tout de suite renvoyés à Rome. On a été affectés… ailleurs, en Égypte, en Gaule… moi ici. Tu raconteras à tout le monde. C’était le… Fils de Dieu, je le sais… je vais le revoir… leur diras. Promets-le-moi.


Avant qu’Urbain puisse répondre, Flavius a quitté ce monde pour retrouver Celui en qui il croyait maintenant, Celui qu’il avait vu sortir du tombeau, le Christ Jésus.


La patrouille arrive peu après. Le chef s’adresse à Urbain :


– Par Jupiter, nous avons tué trois de ces barbares, mais les autres se sont échappés. Et Flavius ?


– C’est fini pour lui. Il m’a raconté une histoire incroyable avant de mourir. Je ne sais pas s’il délirait, mais il avait l’air convaincu de ce qu’il disait. Seulement c’est tellement invraisemblable que je n’ose même pas vous répéter tout ce qu’il m’a dit. Il aurait vu un homme mort sortir de son tombeau. Oui, peut-être qu’il délirait. Pourtant, il avait une telle certitude de revoir cet homme que son visage était comme… rayonnant, alors qu’il savait qu’il était en train de mourir. C’est fou, mais j’ai envie d’y croire, moi aussi, à son histoire.



René Déran




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